jeudi 22 novembre 2012

AAA - Quelles perspectives critiques pour aborder les TIC ?


Revue tic&société

Depuis une quinzaine d'années, nous avons assisté à un renouveau de la critique sociale (Boltanski, Chiapello, 1999). Le forum social mondial (FSM) de 2001 à Porto Alegre (Brésil) et ceux qui ont suivi témoignent de ces dynamiques sociales parfois renouvelées, parfois inédites. Dans la foulée, des rencontres ont eu lieu à différentes échelles : du forum social européen (Paris, 2006) aux forums sociaux québécois (Montréal 2007 et 2009). Or, force est de constater que l'université, pourtant historiquement l'un des principaux lieux de la contestation sociale, a plutôt semblé en décalage avec cette mouvance, au sein des études en communication comme dans d'autres secteurs des sciences humaines et sociales, notamment depuis les années 1980. Ce constat, ne tendrait-il pas à confirmer le « naufrage de l'université » dorénavant au service du capitalisme globalisé (Freitag, 1998) ?
Toutefois, plusieurs initiatives récentes ont valorisé la dimension critique des travaux en communication. Dans le cadre de cet appel à contribution, nous souhaitons nous interroger sur les perspectives critiques mobilisées pour aborder les technologies de l'information et de la communication (TIC). Cette question apparaît d'autant plus pertinente que ces technologies sont encore souvent essentiellement envisagées d'un point de vue positif dans un vaste ensemble de discours, que ceux-ci émanent de responsables politiques, de dirigeants d'entreprises, d'experts en tous genre, voire d'universitaires, chaque innovation étant considérée comme susceptible d'avoir un impact positif de facto sur nos sociétés, qu'il s'agisse par exemple de raviver le lien social ou de renforcer nos démocraties. D'autres auteurs adoptent un point de vue plus distancié par rapport au premier ensemble mais s'avèrent alors a-critiques, leurs travaux, basés sur des observations, étant principalement descriptifs sans une contextualisation qui accorderait une place à l'histoire (le long terme), aux structures économiques et politiques, ainsi qu'aux rapports sociaux.
Il s'agit justement ici de s'interroger sur les rapports entre les perspectives critiques et les recherches consacrées à ces technologies. Adopter un positionnement critique signifie porter une attention particulière aux notions d'inégalités, de rapports d'exploitation, de domination, de conflits et de pouvoir, ainsi que de résistance, d'émancipation et de changement social. Mais dans quelle mesure ces notions-clés sont-elles abordées dans le cadre des études consacrées aux TIC ? Pour ne prendre qu'un exemple, la question des «classes sociales» apparaît peu mobilisée dans les recherches consacrées à ces technologies. Est-ce à dire que cette catégorie analytique n'est pas (plus) mobilisée par les chercheurs parce qu'elle ne serait plus pertinente ? Ou ne serait-ce pas plutôt parce qu'elle apparaît plus difficile à saisir dans toute sa complexité, à croiser par exemple avec des questions relevant du genre ou des cultures ? À moins que cette catégorie analytique ne soit éloignée de l'idéologie dominante chez les chercheurs ? Par ailleurs, un positionnement critique peut-il résulter du choix même de ses objets et problématiques de recherche ? En décidant par exemple de s'intéresser à des techniciens «invisibles» dans un laboratoire scientifique plutôt qu'aux chercheurs, aux aides soignantes plutôt qu'aux médecins, aux jeunes qui ne font pas d'études supérieures plutôt qu'à ceux qui en font ?
Cela dit, opter pour une perspective critique renvoie également à la nécessité de porter un regard un tant soi peu global sur notre monde. Or, à ce sujet, il est possible de se demander si l'hyperspécialisation, certes nécessaire à l'approfondissement des connaissances, ne constitue pas un réel problème en transformant les chercheurs en experts incapables de porter un avis en dehors de leur champ spécifique de compétences ; ce qui limite toute posture critique. Par rapport aux travaux sur les TIC, on pense ici à la grande spécialisation de certains d'entre eux qui vont porter sur un ensemble de domaines plus ou moins précis comme la santé et l'éducation. On est alors bien loin des prétentions globalisantes d'un chercheur comme Harold Innis lorsqu'il souhaitait établir des liens entre les transformations des moyens de communication d'une part et des civilisations d'autre part. Et que penser de la très forte domination des recherches qui portent sur le court terme, voire sur le très court terme au détriment de travaux intégrant le «temps long» ? Quelles places respectives accordées dans les recherches sur les TIC au court terme, au long terme mais aussi aux échelles micro et macro ? Et quelles places respectives accorder aux observations, aux analyses ainsi qu'aux commentaires et autres réflexions ?
Vous êtes donc invités-ées à répondre à cet appel en proposant des textes qui permettront de comprendre comment les TIC sont abordées à partir de diverses perspectives critiques. Pour ce faire, vous pourrez nous faire part de vos recherches en expliquant de façon systématique quelle est la dimension critique dans votre posture épistémologique. Vous pourrez également proposer des recensements, des états de lieux de recherches consacrées aux TIC en expliquant quelles sont les perspectives critiques mobilisées. Dans tous les cas, explicitez clairement votre démarche ainsi que votre positionnement puisque la réflexivité constitue aussi une caractéristique fondamentale de toute perspective critique.

Les textes doivent être envoyés à l'attention d'Éric George, coordonnateur de la thématique de ce numéro, à l'adresse suivante : . Il est toujours possible de proposer des textes hors-thème. Nous nous réservons toutefois le droit, soit de les diffuser dans la rubrique «Varia», soit de les conserver pour un prochain numéro thématique. Merci, dans ce cas, d'envoyer les textes à l'adresse suivante : .
La date limite de soumission des articles est fixée au 1er mars 2013.
Les consignes aux auteurs-es sont accessibles ici : http://ticetsociete.revues.org/90

Source : SFSIC

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