Revue tic&société
Depuis une quinzaine d'années, nous avons assisté à un
renouveau de la critique sociale (Boltanski, Chiapello, 1999). Le forum social
mondial (FSM) de 2001 à Porto Alegre (Brésil) et ceux qui ont suivi témoignent
de ces dynamiques sociales parfois renouvelées, parfois inédites. Dans la
foulée, des rencontres ont eu lieu à différentes échelles : du forum social
européen (Paris, 2006) aux forums sociaux québécois (Montréal 2007 et 2009).
Or, force est de constater que l'université, pourtant historiquement l'un des
principaux lieux de la contestation sociale, a plutôt semblé en décalage avec
cette mouvance, au sein des études en communication comme dans d'autres secteurs
des sciences humaines et sociales, notamment depuis les années 1980. Ce
constat, ne tendrait-il pas à confirmer le « naufrage de l'université »
dorénavant au service du capitalisme globalisé (Freitag, 1998) ?
Toutefois, plusieurs initiatives récentes ont valorisé la
dimension critique des travaux en communication. Dans le cadre de cet appel à
contribution, nous souhaitons nous interroger sur les perspectives critiques
mobilisées pour aborder les technologies de l'information et de la communication
(TIC). Cette question apparaît d'autant plus pertinente que ces technologies
sont encore souvent essentiellement envisagées d'un point de vue positif dans
un vaste ensemble de discours, que ceux-ci émanent de responsables politiques,
de dirigeants d'entreprises, d'experts en tous genre, voire d'universitaires,
chaque innovation étant considérée comme susceptible d'avoir un impact positif
de facto sur nos sociétés, qu'il s'agisse par exemple de raviver le lien social
ou de renforcer nos démocraties. D'autres auteurs adoptent un point de vue plus
distancié par rapport au premier ensemble mais s'avèrent alors a-critiques,
leurs travaux, basés sur des observations, étant principalement descriptifs
sans une contextualisation qui accorderait une place à l'histoire (le long
terme), aux structures économiques et politiques, ainsi qu'aux rapports
sociaux.
Il s'agit justement ici de s'interroger sur les rapports
entre les perspectives critiques et les recherches consacrées à ces
technologies. Adopter un positionnement critique signifie porter une attention
particulière aux notions d'inégalités, de rapports d'exploitation, de
domination, de conflits et de pouvoir, ainsi que de résistance, d'émancipation
et de changement social. Mais dans quelle mesure ces notions-clés sont-elles
abordées dans le cadre des études consacrées aux TIC ? Pour ne prendre qu'un
exemple, la question des «classes sociales» apparaît peu mobilisée dans les
recherches consacrées à ces technologies. Est-ce à dire que cette catégorie
analytique n'est pas (plus) mobilisée par les chercheurs parce qu'elle ne
serait plus pertinente ? Ou ne serait-ce pas plutôt parce qu'elle apparaît plus
difficile à saisir dans toute sa complexité, à croiser par exemple avec des
questions relevant du genre ou des cultures ? À moins que cette catégorie
analytique ne soit éloignée de l'idéologie dominante chez les chercheurs ? Par
ailleurs, un positionnement critique peut-il résulter du choix même de ses
objets et problématiques de recherche ? En décidant par exemple de s'intéresser
à des techniciens «invisibles» dans un laboratoire scientifique plutôt qu'aux
chercheurs, aux aides soignantes plutôt qu'aux médecins, aux jeunes qui ne font
pas d'études supérieures plutôt qu'à ceux qui en font ?
Cela dit, opter pour une perspective critique renvoie
également à la nécessité de porter un regard un tant soi peu global sur notre
monde. Or, à ce sujet, il est possible de se demander si l'hyperspécialisation,
certes nécessaire à l'approfondissement des connaissances, ne constitue pas un
réel problème en transformant les chercheurs en experts incapables de porter un
avis en dehors de leur champ spécifique de compétences ; ce qui limite toute
posture critique. Par rapport aux travaux sur les TIC, on pense ici à la grande
spécialisation de certains d'entre eux qui vont porter sur un ensemble de
domaines plus ou moins précis comme la santé et l'éducation. On est alors bien
loin des prétentions globalisantes d'un chercheur comme Harold Innis lorsqu'il
souhaitait établir des liens entre les transformations des moyens de
communication d'une part et des civilisations d'autre part. Et que penser de la
très forte domination des recherches qui portent sur le court terme, voire sur
le très court terme au détriment de travaux intégrant le «temps long» ? Quelles
places respectives accordées dans les recherches sur les TIC au court terme, au
long terme mais aussi aux échelles micro et macro ? Et quelles places
respectives accorder aux observations, aux analyses ainsi qu'aux commentaires
et autres réflexions ?
Vous êtes donc invités-ées à répondre à cet appel en
proposant des textes qui permettront de comprendre comment les TIC sont
abordées à partir de diverses perspectives critiques. Pour ce faire, vous
pourrez nous faire part de vos recherches en expliquant de façon systématique
quelle est la dimension critique dans votre posture épistémologique. Vous
pourrez également proposer des recensements, des états de lieux de recherches
consacrées aux TIC en expliquant quelles sont les perspectives critiques
mobilisées. Dans tous les cas, explicitez clairement votre démarche ainsi que
votre positionnement puisque la réflexivité constitue aussi une caractéristique
fondamentale de toute perspective critique.
Les textes doivent être envoyés à l'attention d'Éric George, coordonnateur de la
thématique de ce numéro, à l'adresse suivante : .
Il est toujours possible de proposer des textes hors-thème. Nous nous réservons
toutefois le droit, soit de les diffuser dans la rubrique «Varia», soit de les
conserver pour un prochain numéro thématique. Merci, dans ce cas, d'envoyer les
textes à l'adresse suivante : .
La date limite de
soumission des articles est fixée au 1er mars 2013.
Les consignes aux auteurs-es sont accessibles ici :
http://ticetsociete.revues.org/90
Source : SFSIC
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