Philosophie du web. Quel avenir pour la philosophie au XXIe siècle ?
Ce séminaire a pour but d'examiner les questions philosophiques posées par le web tout en réfléchissant à l'avenir de cette discipline aussi bien au plan théorique que pratique. Les séances du séminaire réunissent deux chercheurs pour une présentation et un dialogue sur une demi-journée en Sorbonne (salle Lalande) suivie d’une discussion le lendemain au Centre Pompidou (salle Triangle).
Initiative financée par le Collège des écoles doctorales de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou. Avec le concours de la revue Implications philosophiques.
//Organisation//
Alexandre Monnin (Paris 1, IRI, INRIA, CNAM) et Harry Halpin (IRI, W3C)
Avec le soutien de Madame le Professeur Sandra Laugier pour la composante EXeCO de PHICO.
//Présentation//
La création du Web est l’un des événements majeurs à la charnière du XXe et du XXIe siècle. Pourtant, son impact n’a guère été mesuré à la lumière des questionnements philosophiques fondamentaux. Le Web, sous sa guise actuelle, tel qu’établi sur les fondations de l’Internet, se conçoit à la manière d’un espace informationnel – l’espace de toutes les entités porteuse d’intérêt identifiées par des URIs (Uniform Resource Identifiers, tel que « http://www.example.org »). Originellement présenté comme un hypertexte tissant des liens entre documents, son instance actuelle évolue rapidement, s’apparentant de plus en plus à une plateforme computationnelle centrée sur le calcul. Autre évolution, plus profonde encore, on assiste au devenir ou à la reprise (cela, précisément, nécessite d’être évalué) de concepts philosophiques parmi les plus important que la tradition ait légués : objet, nom propre, ontologie. Chacun à leur manière, ils acquièrent à l’échelle du Web une vie nouvelle sous la forme d’artefacts techniques : « ressources », URIs, ontologies.
Un tel mouvement, qui ne saurait demeurer à sens unique, vers les objets qui leur ont succédé, interroge également le statut des concepts ainsi arraché à leur contexte d’origine. Philosophe-t-on aujourd’hui comme hier avec la mêmes matière et de la même manière ? Y a-t-il encore un sens à se situer à l’intérieur de traditions bien établies telles que la phénoménologie ou la philosophie analytique, lors même que leurs concepts franchissement allègrement les frontières usuelles, et que la discussion se poursuit ailleurs, dans un idiome en surface, mais en surface seulement, identique à celui qui l’a précédé ?
Au cours des quinze dernières années, les débats autour du nom propre se sont en effet poursuivis en philosophie comme si de rien n’était, sans éclat notable. Dans le même temps, les architectes du Web se saisissaient de cet objet sémiotique, remis au goût du jour à partir des années 60 à la suite des travaux de R.B. Marcus, dont les philosophes usent pour décider de questions métaphysiques relatives à l’identité. Sans en modifier volontairement la définition, ils en firent le premier pilier du Web, qui allait permettre de répondre à la lancinante question du rapport entre mots et choses – d’une manière totalement inédite.
A mesure que ce mouvement se poursuit, le philosophe voit sans toujours en prendre conscience ses outils de travail lui échapper. La conséquence en est une véritable prolétarisation. Douce et passive, cependant, dans la mesure où l’activité se poursuit « comme si de rien n’était ». Certains signes ne trompent pas. D’aucuns ont ainsi tranché dans le vif, à l’instar de Barry Smith qui ne se dit plus philosophe[1] aujourd’hui mais « ontologue », œuvrant désormais dans le seul domaine de l’ingénierie des connaissances, au design de systèmes informationnels. Quant aux architectes du Web, ces « ingénieurs philosophiques », comme les qualifie Tim Berners-Lee, ils mobilisent la philosophie en vue d’une finalité proprement poétique et non théorétique : concevoir et maintenir les propriétés essentielles du Web. Ce qui ne constitue pas, à dire vrai, le moindre des effets de l’activité intellectuelle. A mesure que se transforment les supports de connaissance, on peut supposer, à l’aune des théories de l’esprit contemporaines[2], les humains et les objets du savoir condamnés à se modifier à leur tour. La philosophie fut une discipline issue de l’alphabet et du livre, quel tournant se prépare-t-elle à emprunter aujourd’hui, à l’heure de ce que Sylvain Auroux nommait une nouvelle « révolution de la grammatisation »[3] dont le Web est porteur?
Toutes ces activités ingénieriales se laissent aisément décrire, en modifiant pour la circonstance l’adage de Clausewitz, comme « la Philosophie continuée par d’autres moyens ». Moyens qui ne sont pas tous adventices, au contraire. Seule une attention redoublée aux médiations nouvelles, observées et tissées par « l’ingénierie philosophique », permettra d’élargir nos catégories en les soumettant à l’évaluation des non-humains qui peuplement désormais notre monde. En cause, une rupture qui n’a rien de comparable au fait de troquer un a priori (ou une epistémè) pour un autre. Comme l’a bien vu Ian Hacking[4], ces notions sont bien trop massives. Nous ne changeons pas de lunettes, c’est le monde lui-même qui a changé. N’étant plus composé des mêmes entités canoniques qu’autrefois, enrichi de détails inédits, il convient d’en renégocier la cartographie ontologique (l’« ontographie »?), quitte pour cela à accomplir un travail attentif à tous les acteurs qui nous mettent en présence de ces nouveaux territoires (ingénieurs, recommandations, URIs, langages, comités de standardisation, documents, moteurs de recherches, index, etc.). Aucune métaphysique empirique ne peut décider de leur « nature », de leurs agencements ou de leur nombre sans préavis. L’enjeu, la détermination du « collectif » (B.Latour), impose donc de demeurer en lisière de la philosophie, là-même où circulent de nouveaux objets[5] qui, une fois rapatriés en son sein, ne sauraient manquer d’en accélérer la mutation. Nous estimons le Web, plus que tout autre, doté de cette capacité, et de notre devoir de nous atteler à cette tâche.
Notes
[1] An Introduction to Ontology (Part 4): Why I Am No Longer a Philosopher (or: Ontology Leaving the Mother Ship of Philosophy), http://www.viddler.com/explore/palexander/videos/8/
[2] Que l’on pense à la théorie du support en France, défendue par Bernard Stiegler et Bruno Bachimont ou à la thèse de « l’esprit étendu » (extended mind) d’Andy Clark et David Chalmers. Ajoutons-y les tentatives effectuées par Peter Sloterdijk ou Bruno Latour, de dépasser le dualisme Nature/Culture ou Nature/Société, l’homme s’étant toujours-déjà ouvragé lui-même, grâce à ses objets techniques et aux espaces artificiels qu’il (se) crée.
[3] Selon l’expression de sylvain Auroux dans La révolution technologique de la grammatisation, Liège, Mardaga, 1994.
[4] Historical Ontology, Harvard UP, 2002, p. 5.
[5] Parmi ces nouveaux objets, certains ont été examinés dans le détail par d’autres courants disciplinaires auxquels il convient dès lors d’emprunter. Un exemple suffira : l’analyse des standards, essentiel pour comprendre le Web en son architecture, n’a guère motivé les philosophes, quand elle a donné lieu, dans le même temps, à de remarquables analyses, notamment sous la plume de Laurent Thévenot (voir par exemple son article pionnier sur «Les investissements de forme », in Thévenot, L. (éd.) Conventions économiques, Paris, Presses Universitaires de France (Cahiers de Centre d’Étude de l’Emploi), pp.21-71.).
//Programme des séances//
3 mars (14h00-17h00), Salle Lalande (Sorbonne) et 4 mars (10h00-17h00), Salle Triangle (Centre Pompidou)
• Blaine Cook (ex-développeur de Twitter,
• Michal Osterweil (The University of North Carolina at Chapel Hil)
31 mars (14h-17h00), Salle Lalande et 1er avril (10h00-16h00), Salle Triangle
• Andy Clark (University of Edimburgh)
• Michael Wheeler (University of Stirling)
14 avril (14h00-17h00), Salle Lalande et 15 avril (10h00-17h00), Salle Triangle
• Patrick J. Hayes (Institute for Human and Machine Cognition)
• Christopher Menzel (Texas A&M University)
12 mai (horaires à déterminer), Salle Lalande et 13 mai (10h00-17h00), SalleTriangle
• François Rastier (CNRS, INALCO,) « Sémantique et idéologie du Web sémantique »
• Yorick Wilks (Oxford Internet Institute, University of Sheffield, Florida Institute for Human and Machine Cognition,)
19 mai (horaires à déterminer), Salle Lalande et 20 mai (10h00-17h00), Salle Triangle
• Anthony Beavers (The University of Evansville, International Association for Computing And Philosophy) : « The Philosophy of Information and the Structure of Philosophical Revolutions »
9 juin (horaires à déterminer), Salle Lalande et 10 juin (10h00-17h00), Salle Triangle
• Aldo Gangemi (CNR)
• Valentina Presutti (CNR)
• Florie Bugeaud (Nekoe)
Date à déterminer au mois de juin (sur une journée) :
• Bernard Stiegler (Institut de Recherche et d’Innovation, Ars Industrialis,)
• Bruno Bachimont (Université de Technologie de Compiègne, INA)
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