Regards critiques sur la participation politique en ligne
Dans le cadre du colloque international du réseau de recherche DEL/CERTOP/CNRS « Regards critiques sur la participation politique en ligne », la journée organisée par les jeunes chercheurs vise à appréhender les contours actuels de la "démocratie électronique" dont la définition même constitue depuis plus d’une quinzaine d’années un défi au regard de la multiplicité des discours et de la plasticité des expériences politiques et sociales qui s’en réclament. En parallèle, les évolutions techniques d’Internet et des termes employés pour les désigner - web 2.0, web social, web participatif, etc. - incitent à interroger la "démocratie électronique" quant à sa capacité épistémologique et théorique à cerner les pratiques des réseaux numériques reposant sur l’idée d’accroître la participation aux processus démocratiques.
Plus précisément, il s’agira interroger les discours et pratiques politiques d’Internet, ainsi que les concepts mobilisés pour leur analyse, à partir des trois axes de réflexion suivants.
Axe 1. Les débats idéologiques et théoriques de la participation politique en ligne
Dès les années 1980, les technologies des l’information et de la communication donnent lieu à pléthore de discours de la part d’une variété d’acteurs politiques, oscillant généralement entre bénéfices économiques et revitalisation démocratique espérés à travers divers types de réalisations ou expérimentations, lesquelles font l’objet de très nombreux travaux reposant sur diverses approches théoriques.
Au regard du développement actuel des réseaux numériques, de leur appropriation croissante par la population, et de leur reconnaissance institutionnelle à travers l’élaboration de politiques publiques spécifiques, cet axe interroge d’une part, les idéologies et les normes qui sous-tendent de telles initiatives et d’autre part, les débats et modèles théoriques construits dans la perspective de leur analyse.
Sous-axe 1. Idéologies et normes
Alors que le vote électronique a longtemps nourri la croyance de nombre d’acteurs sociaux dans sa capacité à juguler l’abstention caractéristique des régimes occidentaux, et fut quasi-systématiquement démentie par les travaux empiriques portant sur ces initiatives aussi rares que médiatisées, les pratiques actuelles des technologies numériques cherchant à modifier ou à contester les conditions actuelles d’exercice du pouvoir semblent exercer une fascination similaire déliée d’une interrogation quant à leurs soubassements idéologiques et normatifs.
A titre d’exemple, l’actuel engouement pour le mouvement de « l’ouverture des données publiques » (open data) qui se traduit – tout du moins en France – par des initiatives éparses portées par des collectivités territoriales et des collectifs interroge à nouveau frais les rapports entre opacité et transparence qui structurent le fonctionnement de l’Etat depuis ses origines. Dans les discours d’acteurs, comme dans les politiques publiques qui lui sont récemment consacrées dans différents pays, assiste-t-on à la réactivation techniciste de la croyance en la transparence comme solution de la désaffection civique – en sus de celle liée aux retombées économiques que cette « ouverture » serait susceptible de produire ?
Aussi, ce sous-axe vise à interroger, plus généralement, les idéologies, les conceptions de l’État, du politique, de la démocratie, de la citoyenneté et de la participation qui sous-tendent les initiatives – publiques ou privées, qu’elles soient ou non organisées formellement– visant à modifier ou à contester, à l’aide des technologies numériques, les conditions actuelles d’exercice du pouvoir.
Sous-axe 2. Les modèles théoriques et les nouveaux concepts
Au-delà des premières réflexions prospectivistes qui mettaient l’accent sur les « impacts » des technologies de l’information et de la communication sur la démocratie, de nombreux modèles et constructions théoriques ont cherché à rendre compte des modalités selon lesquelles diverses formes de participation politique pouvaient être appuyées par les pratiques numériques d’information et de discussion. L’éventail sans cesse accru – en particulier lié au développement des réseaux sociaux et des plateformes de production collective du contenu – des activités et des espaces où se manifestent de telles pratiques soulève un ensemble de questionnements et engage une réflexion sur l’éventuelle nécessité de forger de nouveaux concepts pour penser les phénomènes politiques qui pourraient y trouver leur source.
Ainsi, est-il toujours possible de penser la participation politique en ligne avec les concepts utilisés pour la participation politique "traditionnelle" et dans des disciplines telles que, par exemple, la science politique ou bien la sociologie des médias, peu enclines à s’approprier la question du politique et du web ou la sociologie des mobilisations rétive aux travaux relatifs au numérique ? Dans quelle mesure les travaux relatifs, par exemple, à la culture numérique, peuvent-ils être effectivement mobilisés pour analyser les pratiques politiques observables en ligne ?
De manière plus générale, la "démocratie électronique" est-elle une déclinaison de la "démocratie participative" ? Il serait dès lors judicieux de s’interroger sur la possibilité et l’intérêt scientifique de transposer la dichotomie entre la "démocratie participative" instaurée par le haut, qui englobe l’accès élargi à l’information et la participation à l’élaboration des normes à l’initiative des institutions publiques, et la "contre-démocratie", caractérisée par le contrôle permanent des représentants de la part des représentés. Cette vision duale de la participation renvoie à des conceptions parfois divergentes quant aux technologies numériques, et plus particulièrement d’Internet, non réductible à un instrument de la démocratie représentative. Précisément, quelles références mobiliser, quelles catégories d’analyse employer pour penser la dimension technique des phénomènes politiques dont certains ne semblent pouvoir advenir qu’à travers l’existence même des réseaux numériques ?
Axe 2. De nouveaux formats de la parole politique, de nouveaux lieux de politisation ?
Cet axe s’intéresse à la « parole politique » en ligne, dans la diversité de ses modes d’expression, et au sein de multiples espaces numériques (sites, blogs, réseaux sociaux, etc.) qu’ils soient ou non gérés par les pouvoirs institués. D’une part, acteurs politiques et institutions développent, en ligne, des pratiques inédites qui amènent à reconsidérer les logiques de diffusion de la teneur et des résultats de l’action publique. L’enjeu ici est de saisir en quoi ces pratiques contribuent à reconfigurer les prises de parole, les échanges entre acteurs politiques et citoyens et entre citoyens - et partant les asymétries de pouvoir et de savoir existantes - et dès lors les ressorts et les registres de la communication politique et publique contemporaine. D’autre part, les espaces numériques de sociabilité se trouvent investis par la politique, que ce soit à l’initiative des acteurs politiques eux-même, ou des individus qui produisent, échangent une variété de contenus. Il s’agit ici d’interroger la contribution de tels espaces à l’information des citoyens, leur politisation, voire à la constitution de "publics" en ligne. De manière plus générale, dans quelle mesure ces évolutions dans la communication publique et politique ont-elles un effet sur la participation politique ?
Sous-axe 1. Les nouvelles formes du discours politique
Les canaux de publicisation de la parole publique évoluent. A côté des formes maintenant plus traditionnelles de présence en ligne tels que les sites Internet, responsables politiques et institutions sont confrontés à de nouveaux défis communicationnels. Ils doivent par exemple gérer la nécessité toujours plus forte d’adapter leur stratégie de communication aux contraintes de l’environnement en ligne mais aussi savoir mobiliser les ressources qu’il offre. La demande de réactivité pour être « visible », de mise en scène de leur action, de leurs projets ou de leur personne pour être présents dans les conversations ordinaires et disséminer leurs idées oblige les acteurs à certains ajustements stratégiques qu’il convient d’analyser. Parallèlement, la publication de données brutes liées à l’activité gouvernementale et l’émergence de collectifs capables de les prendre en charge contribue à faire évoluer les modalités de l’entrée dans la sphère publique des résultats des politiques publiques à tous les échelons de gouvernement. Comment le message des acteurs politiques et des institutions se déploie-t-il dans les différents espaces numériques ? Comment l’intégration de dispositifs, sans cesse mouvants et plus ou moins sophistiqués (Facebook, Twitter, Tumblr, Flickr, Pinterest, Youtube, Dailymotion, Spotify, Foursquare, etc.) dans leurs répertoires d’action en affecte-t-elle la teneur et les publics auxquels ils s’adressent ? Comment rendre accessible à l’interprétation – et donc à la critique – la masse sans cesse croissante de données et d’information qui circulent en ligne (visualisation, cartographie, infographie) ? Le web est-il devenu une source cruciale d’information pour les citoyens (et si oui, lesquels) ? Assiste-t-on à une recomposition des pratiques de participation et d’information en matière politique ?
Sous-axe 2. La politique ailleurs
Le concept de "espace public" tel que élaboré par J. Habermas a donné lieu à d’intenses débats, critiques et reformulations soulignant la multiplicité, voire la fragmentation des espaces dans lesquels se sont au cours du temps manifestées des formes d’expression publiques irréductibles à la seule approche procédurale. D’autres travaux invitent également à considérer la pluralité des arènes dans lesquelles émergent et se construisent les problèmes publics.
Au regard du développement des réseaux numériques, il apparaît impératif de considérer des formes d’expression autres que le discours rationnel-critique, et de prendre acte de la possible émergence de "contre-discours" voire de "contre-publics". L’essor des technologies du "web 2.0" et la multiplication des espaces de conversation interpersonnelle qui l’accompagne permet en effet de favoriser la production et la circulation de contenus par les internautes eux-mêmes. Cette nouvelle écologie de la parole se manifeste dans une multiplicité de dispositifs statiques ou dynamiques accueillant un mélange de conversation privée et de discours publics, combinant les ressources multimédia du web, agrégeant des contenus textuels, sonores et vidéo. Comment précisément redéfinir les frontières du politique alors que celles entre espace public et espace privé, qui ne sont jamais toutefois fixées définitivement, sont incessamment travaillées par le développement de tels dispositifs ? Faut-il y voir une opportunité pour que puissent émerger des formes de politisation des individus ? Quelles en seraient les conditions ? Par exemple, l’humour, le cynisme et l’ironie sur le plan discursif mais aussi des modalités visuelles, plus créatives, d’expressions individuelle ou collective constituent-ils des voies d’accès à un univers politique ? Peut-on y voir un signe d’empowerment des citoyens ? Dans quelle mesure la fréquentation d’espaces de sociabilité numérique conduit-elle les individus à s’exposer au/s’intéresser à la politique ?
Axe 3. De nouveaux acteurs, de nouvelles reconfigurations du pouvoir politique ?
Cet axe interroge la place des réseaux numériques à la fois au sein des organisations existantes dans la sphère publique et dans le cadre de la constitution de nouveaux types de mouvements. En effet, des citoyens, des collectifs plus ou moins formalisés, voire de nouveaux types de partis aux ancrages territoriaux incertains tirent profit des opportunités numériques d’expression pour promouvoir leurs idées et opérer la critique des organisations institutionnelles et partisanes dans lesquelles s’est jusqu’alors incarné l’engagement politique.
Sous-axe 1. Nouveaux acteurs, nouveaux intermédiaires, nouvelles coopérations ?
L’intégration du numérique par les institutions politico-administratives ou les organisations partisanes dans leur répertoire d’action et de communication en vue de susciter l’adhésion des publics ou de mobiliser les électeurs interroge à nouveau frais la place de l’expertise, la répartition des rôles et des tâches au sein de ces organisations et les processus de professionnalisation auxquelles elles peuvent donner lieu. En effet, la mise à profit ou le développement d’applications ou de services particulièrement issus du web 2.0 exige parfois d’une part de repenser la circulation de l’information au sein de l’organisation considérée, et d’autre part de recourir à des agents extérieurs, issus du monde marchand, du champ associatif, ou à des citoyens, donnant lieu à de nouvelles formes de collaborations. Considérant, à titre d’exemple, le cas des partis politiques, assiste-t-on à leur transformation en « firmes » régies par des concepts marketing, ou en organisations citoyennes revitalisées par une participation active en ligne, voire en "cyber-partis" ? Symétriquement, les contours du militantisme semblent connaître des fluctuations : peut-on parler d’une dissolution des frontières entre sympathisants et militants ?
De manière plus générale, dans quelle mesure les hiérarchies et les rôles au sein des organisations administratives, politiques, partisanes traditionnelles sont-elles susceptibles d’être reconfigurées par l’entrée de ces nouveaux acteurs sollicités en raison de leur savoir et savoir-faire ?
Parallèlement, se développent de nouvelles formes de journalismes s’appuyant sur le "data telling" et le renouvellement du "fact checking", et d’autres formes de coopérations entre « anciens » et nouveaux acteurs dans la production, la diffusion, la circulation et la critique de l’information politique voient également le jour.
Par ailleurs, en sus d’une réactivité (poster un commentaire ou un tweet) à l’égard des contenus produits par les médias traditionnels, de leur propre contribution (alimenter son propre blog), les citoyens connectés peuvent désormais se conduire en "curateurs" au travers une multiplicité d’outils de veille numérique (storify, scoop.it, paper.li, etc.) si bien que les frontières se brouillent entre journalistes et citoyens, experts et profanes. Quels sont leurs profils sociodémographiques et leurs trajectoires ? S’agit-il de nouveaux auxiliaires du politique ? D’une nouvelle forme de critiques ? Comment de telles pratiques conduisent-elles à remettre en cause les rôles des gate-keepers traditionnels de l’espace politique et médiatique ?
Sous-axe 2. Le numérique, les urnes et la rue
L’usage d’Internet par des collectifs ou des mouvements plus ou moins structurés, en vue de rendre visible leurs actions et interpeller les pouvoirs publics n’est pas un phénomène nouveau comme a pu l’illustrer par exemple le mouvement altermondialiste au début des années 2000. Néanmoins, et sans préjuger des effets « réels » de l’utilisation des réseaux sociaux dans les aboutissements des mouvements de révolte égyptiens, tunisiens, libyens ou syriens, se trouvent interrogées les possibilités de changements effectifs de décision voire de régime politique à travers des contestations pour partie organisées dans un myriade d’espaces numériques.
A travers la richesse des genres et de formats utilisés (photos, vidéos, diaporamas), la notion de campagne « transmedia » pourra faire l’objet d’analyses à l’aide d’études de cas ou de réflexions théoriques. Ce nouveau type de campagne n’est pas une déclinaison multi-support de campagne traditionnelle (cross-media) : le message est initialement généré autour de différents supports et formats (mobile, site Internet, réseaux sociaux, vidéo, photos, détournements). La tendance transmedia est-elle une évolution structurelle des modèles de campagne ? Cette définition s’applique-t-elle à d’autres mouvements de révolte, comme celui dit des "Indignés" également très médiatisé en 2011 ? "Occupy Wall Street" n’est-il pas conçu dans cette perspective « globale » ? Le « happening » est annoncé en amont dans les médias comme sur les réseaux sociaux, advient en direct – devant les caméras et les micros mais aussi en live-stream, live-tweet, géolocalisation sur Foursquare ou Facebook – puis restitué et commenté sur tous les supports.
Parmi les formes d’organisations "non-traditionnelles" que ce sous-axe invite à étudier, on pense aussi aux netroots américains, réseaux d’activisme en ligne à visée transnationale (Avaaz, Change.org, All Out, Move On par exemple) : ces structures légères, peu médiatisées, dont les activités se concentrent dans l’espace numérique, comptent pourtant des millions de membres, s’inscrivent dans la tradition du community organizing à l’américaine et peuvent aboutir à des changements effectifs de politiques publiques. Malgré leur médiatisation, ces exemples récents ont été relativement peu traités dans la littérature scientifique, y compris aux Etats-Unis. En quoi ces structures nouvelles collaborent-elles ou concurrencent-elles les organisations traditionnelles ?
Modalités de réponse à l’appel à communications
Cet appel à communications s’adresse aux jeunes chercheurs : doctorants et docteurs ayant soutenu leur thèse depuis moins de 5 ans.
Les propositions de communication sont comprises entre 10 et 15 000 signes, accompagnées d’un résumé, en français et en anglais, de 1500 signes et adressées à stephanie.wojcik@u-pec.fr
Elles peuvent être rédigées en anglais ou en français.
La date limite de réception des propositions est le 17 septembre 2012.
Les auteurs seront notifiés des résultats de la sélection des propositions le 22 octobre 2012.
Les auteurs des propositions sélectionnées seront invités à faire parvenir leur texte final pour le 5 avril 2013.
Le texte final, compris entre 40 et 45 000 signes, accompagné d’un résumé de 2000 signes maximum, peut être rédigé en français ou en anglais.
Les textes présentés lors du colloque feront l’objet d’une publication.
Calendrier
Date limite de proposition : 17 septembre 2012
Notification aux auteurs : 22 octobre 2012
Version finale du texte de la communication : 5 avril 2013
Journée Jeunes Chercheurs : 19 juin 2013