mardi 3 janvier 2012

Appel à communication Journée d'études "Les asymétries de l'accès à l'espace médiatique"

Les asymétries de l’accès à l’espace médiatique : porte-parole et construction des cadrages

Appel à contribution pour une journée d'étude organisée par le Groupe de sociologie politique européenne.

Argumentaire

Cette journée d’étude entend poursuivre le travail collectif de réflexion amorcé en 2006 par Julie Sedel, Yves Patte, Philippe Ponet, en s’intéressant aux modalités d’accès des groupes au champ médiatique en fonction de leur degré d’organisation et d’institutionnalisation. Depuis les années 1990, la question de l’accès asymétrique aux médias a donné lieu à plusieurs travaux. L’article de Marilyn Lester et Harvey Molotch a été particulièrement mobilisé pour souligner le caractère inégalitaire de l’expression médiatique des groupes ou des personnalités. Dans leur démonstration, certains collectifs ou individus, disposant déjà de ressources spécifiques, d’un capital qui leur confère un crédit (représentants politiques, responsables des entreprises, personnalités du spectacle), ont un accès régulier et indiscuté à l’expression publique. D’autres, moins dotés, n’y parviennent qu’occasionnellement et dans des conditions spécifiques. Une troisième catégorie, qui n’a que très difficilement accès à la fabrication d’événements, est amenée à « créer l’événement en court-circuitant d’une manière ou d’une autre les arrangements en vigueur concernant l’élaboration d’informations, en suscitant la surprise, le choc ou des formes plus violentes d’incidents ». Harvey Molotch et Marilyn Lester en déduisent que « le pouvoir des médias ne reflète pas “un monde extérieur”, mais les pratiques de ceux qui ont le pouvoir de conditionner l’expérience des autres » (Lester, Molotch, 1996 – éd. orig. 1974). Patrick Champagne a proposé de considérer l’événement comme une construction collective dont la définition sociale procède de l’action de certains groupes (Champagne, 1990). Philippe Schlesinger dénonçant le « média-centrisme » et une focalisation excessive sur les choix de couverture des rédactions, proposait de recentrer l’analyse sur l’activité des « sources » et les contraintes qu’elle exerce sur les journalistes (Schlesinger, 1994). Dans la lignée de ces auteurs, plusieurs chercheurs ont étudié les relations entre les médias et les univers dont ils traitent qu’il s’agisse du champ médical (Marchetti, 1997 ; Pierru, 2004, Ponet, 2005), économique (Duval, 2004), politique (Kaciaf, 2005 ; Saitta, 2010 ; Le Bohec, 1994 ; Frisque, 2010, Legavre, 1989), judiciaire (Thomas, 2009 ; Henry, 2005), du secteur associatif (Patte, 2005), et, plus globalement, de l'État (Olivier-Yaniv, 2000 ; Marchetti, 2008 ; Chupin et Nollet, 2006 ). Ils ont montré que le travail de définition et de cadrage des acteurs à l’égard des rédactions constituait une clé pour comprendre comment se construisait l’accès aux médias et le contenu même de ce qui est ensuite perçu comme « l’actualité ». Les cadrages peuvent être définis comme des schèmes interprétatifs ajustés aux intérêts des acteurs qui les fournissent aux journalistes délimitant pour ceux-ci les « panoplies [packages] souvent limitées de modes de traitement [envisageables] d’un sujet et qui sont autant de filtres qui bloquent la couverture d’événements qui n’entrent pas dans les cadres et ne disposent pas de relais sociaux » (Gamson, Modigniani, 1989). Certains cadrages d’institution s’imposent facilement, comme ceux qui ont cours au sein du monde judiciaire, (Henry, 2005) alors que d’autres proposés par des acteurs moins centraux ou organisés, comme les travailleurs sociaux (éducateurs de rue, etc.) ou encore les acteurs du monde associatif dans certains grands ensembles d’habitat social ont plus de difficultés à être repris (Sedel, 2009). Ces schèmes interprétatifs de l’actualité, en partie cristallisés par l’activité des « sources » qui tentent de peser sur la fabrication de l’information (Sedel, 2009), sont aussi établis, par les journalistes, cette fois, en fonction des représentations qu’ils se font des publics (Goulet, 2010). Ils peuvent être le produit de la rencontre entre le travail des porte-parole à l’égard de la presse et des besoins expressifs et professionnels spécifiques des journalistes comme le montre Philippe Juhem pour l’association SOS-Racisme, initialement présentée comme « apolitique », promue par des rédactions souhaitant mener campagne contre le FN sans exposer leur image d’objectivité journalistique (Juhem, 1998).

La journée d’étude s’intéressera en particulier aux inégalités d’accès des groupes sociaux aux médias en présentant à la fois des groupes « organisés », disposant d’un capital institutionnel et d’un capital économique, et des groupes insuffisamment construits et cristallisés par leurs représentants. Il s’agira, à travers la comparaison des formes d’accès au débat public, de dégager des invariants de la médiatisation, mais aussi des facteurs structurants de cet accès différencié. L’usage de la notion de « capital médiatique » proposée par Patrick Champagne (1990) conduit à être attentif aux processus institutionnels de formation de la capacité d’expression individualisée des porte-parole comme aux phénomènes de transmission réguliers de ce capital aux nouveaux porte-parole. En effet, ce capital, conçu comme une propriété individuelle, émane en fait d’un travail collectif, institutionnel, de constitution d’une capacité d’intervention publique. Ce sont les institutions, permanentes et régulièrement financées, qui parviennent à avoir un accès routinisé aux médias, grâce à la production de « porte-parole » et d’un flux d’activité imposant la couverture journalistique. Par ailleurs, ce capital ne prend sens que dans la relation qu’il établit avec d’autres types de capitaux (scolaire, économique, social). On portera alors notre attention sur la façon dont un type de capital peut se convertir en droit à la parole publique. Inversement, il s’agira de voir comment une exposition occasionnelle aux médias peut se voir converti en capital médiatique, et sous quelle forme.

On privilégiera autant que possible les travaux s’appuyant sur des enquêtes empiriques et comparatives, même si l’étude de trajectoires « rares » reste intéressante. Si l’opposition entre « groupes formels »/ groupes « informels » constitue un aspect saillant de l’analyse, d’autres facteurs et variables se dégageront peut-être de la comparaison des différents cas.

Bibliographie indicative

CHAMPAGNE P., Faire l’opinion. Le Nouveau jeu politique, Paris, Éd. de Minuit, 1990.

CHUPIN I., NOLLET J. (dir.) Journalisme et dépendances, Paris, L'Harmattan (Cahiers Politiques), mai 2006.

DUVAL J. Critique de la raison journalistique. Les transformations de la presse économique en France, Paris, Ed. du Seuil, collection « Liber », 2004

FRISQUE C. « Une reconfiguration des espaces médiatique et politique locaux? », Revue française de science politique, vol. 60 n°5, octobre 2010, pp. 951-973.

GAMSON W., MODIGLIANI A., « Media discourse and public opinion on nuclear power: a constructionist approach », American Journal of Sociology, 1989.

GOULET V., Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, INA, 2010.

HENRY E. « Le droit comme vecteur de publicisation des problèmes sociaux, effets publics du recours au droit dans le cas de l’amiante »,in CURAPP, Sur la portée sociale du droit. Usages et légitimité du registre juridique, Paris : PUF, 2005, pp. 187-200.

JUHEM P. « La participation des journalistes à l’émergence des mouvements sociaux : le cas de SOS Racisme », Réseaux, 1999, n°98, pp. 119-152.

KACIAF, N., Les métamorphoses des pages politiques dans la presse écrite française (1945-2000), Thèse de science politique, Université Paris-1 – Panthéon Sorbonne, 2005

LE BOHEC J., « Les rapports entre élus et localiers. La photographie de presse comme enjeu de pouvoir », in Politix. Vol. 7, N°28. Quatrième trimestre 1994. pp. 100-112.

MARCHETTI D., (dir.) Communication et médiatisation de l’État. La politique invisible, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Communication, Médias et Sociétés », 2008.

MARCHETTI D., Contribution à une sociologie des transformations du champ Journalistique dans les années 80 et 90. A propos d'"événements sida" et du "scandale du sang contaminé" : Thèse de sociologie, Paris, EHESS, 1997.

MOLOTCH H., LESTER M., « Informer : Une conduite délibérée. De l’usage stratégique des événements », American Sociological Review, février 1974, vol. 39, traduit dans Réseaux n°75, 1996, pp. 23-41.

OLLIVIER-YANIV C., L’État communiquant, Paris, Presses universitaires de France, 2000.

PIERRU F., « La fabrique des palmarès. Genèse d'un secteur d'action publique et renouvellement d'un genre journalistique - Le cas du palmarès des hôpitaux », in Legavre (J.-B.) [dir.]. La Presse écrite : objets délaissés, Paris, L’Harmattan, 2004.

PATTE Y. « Une production de l’actualité sans visée productrice. Le cas du débat sur la prostitution et la traite des êtres humains en Belgique », In Interrogations ?, n°1, déc. 2005, pp. 59-77.

PONET P., « La guerre des mondes : de quelques rapports entre univers sociaux différenciés. Les cas des “palmarès des hôpitaux” »,Politix, 2005, pp. 125-154.

SAITTA E., Les transformations du journalisme politique depuis les années 1980. Une comparaison France / Italie, Thèse de Science politique, Université Rennes 1, 2010.

SCHLESINGER P., « Repenser la sociologie du journalisme. Les stratégies des sources d’information et les limites du média-centrisme »,Réseaux, 1992, n°51, pp. 77-98.

SEDEL J., Les médias et la banlieue, Lormont, INA/Bord-de-l’eau, 2009.

THOMAS C., « La communication par le bas au ministère de la Justice », Communication & Organisation, 2009/1, n° 35.

Calendrier

Les propositions d’une page sont à renvoyer au plus tard, le 31 janvier 2012, aux organisateurs de la journée d’étude (qui examineront les propositions) :

  • Philippe Juhem : philippe.juhem@misha.fr
  • Julie Sedel : julie.sedel@misha.fr

Ils recevront une réponse mi-février.

La journée d’étude, organisée par le Groupe de sociologie politique européenne (GSPE), se tiendra à la Maison des sciences de l’homme de Strasbourg, en mai 2012.

Lieu

  • Strasbourg (67083) (5, allée du Général Rouvillois (Maison des sciences de l'homme de Strasbourg)

Date limite

  • mardi 31 janvier 2012

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