mardi 10 avril 2012

AAA - Revue Ateliers d'anthropologie

Circuits faibles : aux frontières de la communication

Ce dossier, coordonné par Emmanuel Grimaud (CNRS LESC) et Stéphane Rennesson (CNRS IIAC-LAU), a pour but d’aborder la notion de communication à partir de cas empiriques qui constituent des objets frontières ou des « cas limites » du point de vue de la communication interhumaine (communications animales, communication avec des végétaux, communications avec des invisibles, etc.). On s’intéressera à ces efforts produits pour établir ce que l’on propose d’appeler ici des circuits faibles, c’est-à-dire des systèmes ou des dispositifs de communication dont les connexions sont incertaines ou qui demandent un gros travail pour en éprouver la fiabilité. On se demandera ici dans quelle mesure cette notion permet de reconsidérer la façon dont sont envisagés ordinairement, dans le champ des sciences humaines, les réseaux entre humains mais aussi les relations qu’ils établissent avec la matière, avec les animaux, les plantes ou encore les êtres invisibles.

Cet appel est volontairement large, les contributions pouvant porter sur des objets aussi divers que les animaux, les végétaux, les fantômes, les esprits ou les divinités, la télé-robotique, l'histoire de l'électricité, du magnétisme, des ondes radio, la neurologie, la théorie des signaux, la science fiction ou l'histoire de la cybernétique.

Les théories de la communication sont restées longtemps prisonnières d’un schéma simpliste attribué à Claude Shannon réduisant la communication à une transmission de messages entre un émetteur et un récepteur. Cette théorie de l’information (plus connue sous l’appellation de « modèle télégraphique ») a émergé à un moment où se posait avec acuité, chez les ingénieurs des réseaux de communication, le problème de la fiabilité de la transmission et de l’acquisition de signaux électroniques. Bien que Shannon (« A mathematical theory of communication », 1948) ou encore Wiener (Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, 1948) aient toujours clamé que ce schéma n’avait vocation à s’appliquer qu’à la seule circulation d’informations dans des dispositifs techniques, on constate que bon nombre de leurs successeurs ont transposé aux communications interhumaines au sens large l’idée que le seul critère pour évaluer la qualité d’une communication est celle de la conservation (ou de la « non-déperdition ») de l’information d’un bout à l’autre du circuit d’échange. On ne peut ignorer que des anthropologues se sont attaqués à ce problème par le passé. Les travaux de Gregory Bateson sur la communication par exemple puisent largement dans la cybernétique pour décrire des « boucles » communicationnelles jamais complètement réductibles à un schéma émetteur-message-récepteur. Mais les intuitions les plus fortes de Bateson puisent moins, à notre sens, dans la communication interhumaine que dans la communication animale. C’est chez les loutres et les chimpanzés qu’il trouve les moyens de penser la notion de « méta-communication » (« Une théorie du jeu et du phantasme », Vers une écologie de l’esprit I, [1973] 1977). Et ce sont les dauphins qu’il mobilise notamment pour repenser la philosophie du signe héritée de Charles Sanders Peirce, en termes d’opposition entre « communication analogique » et « communication digitale » (« Problèmes de communication chez les cétacés et autres mammifères », Vers une écologie de l’esprit II, [1973] 1981). Si on peut être redevable à Bateson d’avoir été l’un des premiers anthropologues à oser la confrontation entre des espèces radicalement différentes, du point de vue de leurs modalités de communication, force est de reconnaître que les « sciences de la communication » se sont davantage inspirées de ce que disait Bateson sur la psychiatrie et la théorie du « double bind » (double contrainte) que sur les animaux. Et même lorsqu’elles se sont emparées de ce que Bateson appelait la « communication analogique », c’est-à-dire l’ensemble des moyens non verbaux de s’envoyer des signaux, ce fut pour « sémiotiser » à outrance le champ du non-verbal [1], là où Bateson insistait au contraire sur son ambiguïté fondamentale, le lien faible entre le signal et sa signification et la difficulté que nous avons à interpréter, par exemple, dans l’interaction quotidienne, les micromouvements involontaires du visage.

Ce dossier a pour but d’aborder la notion de communication à partir de cas empiriques qui constituent des objets frontières ou des « cas limites » du point de vue de la communication interhumaine: communication chez les oiseaux, cris d’animaux, communication avec des fantômes, communication avec des robots, transcommunication (magnétisme et spiritisme), etc. Il s’agit donc de réévaluer les modèles classiques de l’échange d’information, en s’intéressant à au moins trois domaines dont on peut déplorer qu’ils n’aient jamais été vraiment confrontés ou comparés : la communication animale (ou les communications entre les hommes et les animaux), la communication avec des présences invisibles (bruitologie du spiritisme de Kardec, sémantique de la présence des fantômes, etc.) et la communication au sens des technologies de l’information et de la communication (TIC, radio, télé-robotique, etc.). On s’intéressera à ces efforts produits pour établir ce que l’on propose d’appeler ici des circuits faibles, c’est-à-dire des systèmes ou des dispositifs de communication dont les connexions sont incertaines ou qui demandent un gros travail pour en éprouver la fiabilité. On se demandera ici dans quelle mesure cette notion permet de reconsidérer la façon dont sont envisagés ordinairement les réseaux entre humains, mais aussi les relations qu’ils établissent avec la matière, avec les animaux, les végétaux ou encore les êtres invisibles.

On favorisera des approches s’appuyant sur des descriptions ethnographiques de cas ou de situations :

1/ où il existe une incertitude sur la nature de ce qui s’échange et comment ;

2/ où la notion même de signal (ou l’articulation signal/bruit) n’est pas suffisante pour rendre compte de ce qui s’échange ;

3/ qui impliquent un décentrement sensoriel ou la confrontation avec d’autres créatures dotées d’une autre sensibilité que la nôtre (communications avec des animaux, avec des plantes, etc.) ;

4/ qui impliquent des équipements ou des appareils visant à établir une communication avec un être ou une entité dont les modalités de présence ne vont pas de soi (esprits, fantômes, robots, etc.).

Soumission

Si vous êtes intéressé, merci de faire parvenir un titre et une note d’intention d’un paragraphe ou plus, afin de nous permettre de bien cerner le contenu de l’article, soit à la rédaction d’Ateliers d’anthropologie (sandrine.soriano@mae.u-paris10.fr), soit aux coordinateurs du dossier (emmanuel.grimaud@gmail.com, stephanerennesson@free.fr), avant le 15 mai.

La publication est envisagée dans le courant 2013 et un atelier de travail réunissant l’ensemble des contributeurs avant la fin 2012.

[1] Voir sur le sujet les dérives récentes de Paul Ekman, inventeur d’une méthode à décoder les expressions humaines appelée « le code Ekman » ou encore la synergologie pour qui les mouvements involontaires du visage humain sont des signes codifiés que l’on peut interpréter de manière fiable et certaine. Pour une critique de la synergologie, voir Pascal Lardellier, « Pour en finir avec la “synergologie”. Une analyse critique d’une pseudoscience du “décodage du non-verbal” », Communication [En ligne : http://communication.revues.org/index858.html], 26/2, 2008.

Comité scientifique : en cours de constitution

Date limite : mardi 15 mai 2012

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